Jusqu’au mois de janvier au musée du Luxembourg se tient l’exposition Fragonard Amoureux, Galant et Libertin. Ce grand peintre français du XVIIIème siècle –il meurt en 1806 mais cesse de peindre aux environs de 1790- a puisé dans l’amour et ses manifestations une source inépuisable d’inspiration. Ce serait un raccourci de le réduire à un simple peintre libertin pour plusieurs raisons, d’abord parce que sa vie amoureuse fut un long fleuve tranquille d’homme marié et de père de famille, ensuite parce que la plupart des tableaux effectués et présents à l’exposition sont des commandes d’hommes autrement plus haut placés que lui, enfin parce que le peintre reflète, du moins en partie, l’esprit de son temps et que le XVIIIème siècle ne fut pas que libertin. 92 œuvres sont exposées dans six grandes salles, dont une soixantaine de « Frago » tel qu’il aimait à se surnommer, mises en relation avec celles de son maître Boucher, des ses disciples ou de ses amis en peinture.
Chaque section est thématique et montre comment le peintre a traité l’amour, la sensualité, le désir, l’intrigue amoureuse. Certains tableaux sont particulièrement intéressants dans la mesure où un simple regard furtif sur la toile ne laisse en aucun cas apparaître ce qui est réellement en train de s’y jouer et ce qui est symbolisé. Tout le talent de Fragonard se déploie dans la vivacité du trait, la clarté de la palette et sa capacité de suggestion : un jeu en plein air apparemment innocent, une femme qui semble rêveuse au milieu d’une de ses lectures, une scène mythologique à consonance pastorale… D’autres œuvres sont plus explicites, et nul besoin de développer des trésors d’imagination pour saisir leur signification. Je pense notamment aux magnifiques gravures qui illustrent certains contes franchement immoraux de l’époque ou quelques fables légères.
Certaines des toiles, comme La Culbute, évoquent l’idée d’un désir cru où les parties-prenantes ne sont pas toujours consentantes et où le sentiment amoureux est laissé à la porte. Le débat sur le viol ne s’est cependant pas encore invité dans la sphère publique. Vers 1780, le libertinage s’épuise alors que le romantisme et la galanterie refont surface. Fragonard réinterprète à ce moment les fêtes galantes de Watteau (le jeu de la main chaude, la mystérieuse Île de l’Amour, Renaud entre dans la forêt enchantée…). Difficile également de ne pas évoquer la fameuse toile Le Verrou empreint d’une violence rare et d’une gravité qui semble culminer dans la dernière salle de l’exposition.
Dans cette belle sélection de toiles, le spectateur devient voyeur et s’invite impunément pour son plus grand plaisir dans l’obscurité des alcôves, l’intimité des dortoirs de filles, sous les jupes des demoiselles. Cependant, il ne s’agit pas seulement de se rincer l’œil, mais également d’entrer dans la réflexion proposée par le « Divin Frago » sur le sens de l’amour, de la galanterie, de la sensualité et du désir.
Fragonard: gallant, libertine and ever in love at the Musée du Luxembourg
The Fragonard in love – suitor and libertine exhibition at the Musée du Luxembourg runs until January. Love and its many different expressions were an inexhaustible source of inspiration for this great 18th century French painter, who stopped painting around 1790 and died in 1806. It would be overly simplistic to describe him as a libertine painter for several reasons. Firstly, his love life was the steady and tranquil journey of a happily married man with children. Secondly, most of the paintings in this exhibition were commissioned by men ranking far higher in society than he did. Lastly, his paintings are at the very least a partial reflection the spirit of his time, and the 18th century was so much more than just the libertine movement. There are 92 works displayed in six large rooms, roughly 60 of which are by “Frago”, the nickname he liked to call himself, exhibited alongside works by his master, Boucher, his disciples and his painter friends.
Each section has a different theme and shows how the painter dealt with love, sensuality, desire and love affairs. Some paintings are particularly interesting in the sense that a quick glance gives away nothing of what is really at play or what is being symbolised. Fragonard’s talent lay in the liveliness of his brushstroke, the brightness of his palette and his capacity for suggestion: an apparently innocent outdoor game, a woman who appears to be daydreaming as she reads a book, or a mythological scene with pastoral tones. Other works are more explicit, requiring no major flights of imagination to grasp their meaning. Some such examples are the fine engravings that illustrate some frankly rather immoral tales of the time or some of the fables that are a little lighter in tone.
Some of his paintings, like The Tumble, evoke the notion of raw desire, where the characters depicted are not necessarily always consenting parties and any feelings of love are entirely absent. At the time, rape was not yet a subject for public debate. In around 1780, libertinism started running out of steam just as romanticism and gallantry re-appeared on the scene. This was when Fragonard took to re-interpreting Watteau’s fêtes galantes (A Game of Hot Cockles, the mysterious Island of Love, and the luminous Rinaldo in the Enchanted Forest). The Lock, one of the painter’s famous works from around this time, is also deserving of mention. It has a gravity that is not necessarily apparent in other paintings, but which appears to reach its peak in the last room of the exhibition.
Amongst this wonderful selection of canvases, the spectator becomes a voyeur, free to enjoy the world with impunity in the darkness of the alcoves, the privacy of girls’ chambers and under the skirts of young ladies. Meanwhile, it’s not just about getting a good eyeful—the spectator is also invited to step inside Frago the Divine’s thoughts on the meaning of love, gallantry, sensuality and desire.
Fragonard Amoureux, Galant et Libertin
Du 16 septembre au 24 janvier 2016
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard
01 40 13 62 00