On connaissait l’importance du terroir, du climat, du cépage, de la main de l’homme, de la gestion ou de la sélection pour le goût du vin. On a trop ignoré le rôle de ce petit bout de liège qui conditionne le goût d’une bouteille et son avenir. Il nous le rappelle parfois cruellement tant le bouchon de liège représente la dernière interface entre le producteur et le consommateur. A ce titre, il devrait bénéficier des soins les plus attentifs.
Je ne parle pas ici du goût de bouchon qui se confirme en bouche plus qu’au nez. Je parle plutôt de ce que je constate maintenant depuis dix ans : dans une caisse de vin, il existe des différences de goût d’une bouteille à l’autre.
Ce constat s’est imposé lors des très nombreuses dégustations que je réalise avec les groupes. Dès que le nombre des participants dépasse quinze, l’ouverture d’une seconde bouteille s’impose. Je goûte toujours systématiquement tous les vins d’une soirée avant de les servir et de les commenter. Je m’assure ainsi que chacun reçoit le même vin. En comparant ensemble toutes ces bouteilles ouvertes, je perçois de légères différences et sur une caisse de douze, deux bouteilles en moyenne se révèlent non conformes au modèle. Ces bouteilles non représentatives se caractérisent toujours par une fin de bouche sèche et un comportement agressif dans le déroulé de leur excitation.
Il est probable que les variations d’une bouteille à l’autre aient toujours existé. On raillait alors le goûteur. On l’accusait d’être chagrin. Certains disaient encore qu’il était fatigué, que le plat n’allait pas bien avec le vin… Par respect, par tradition, par méconnaissance, par idiotie, par mépris, par snobisme, la dégustation est longtemps restée centrée sur la subjectivité du buveur, ignorant le comportement variable du même vin d’une bouteille à l’autre. Les propriétaires, les professionnels, les marchands imposaient alors leur vision aux amateurs. C’est fini ! Aujourd’hui, ils ne peuvent faire ni plus ni moins que de la partager, à égalité, en respectant l’acheteur. Et c’est tant mieux, tant c’est celui qui ouvre la bouteille en bout de ligne qui fait vivre tout ce petit monde.
La gêne que provoquent ces variations d’une bouteille à l’autre tient actuellement à leur cherté. Une insatisfaction se pardonne à quinze euros et ne se tolère plus à trente-cinq ou cinq cents. Le rendez-vous avec le grand vin devient un luxe rare et cher. Il se doit d’être parfait. Les propriétaires en ont-ils vraiment conscience ? Devant ce sujet épineux, beaucoup ne savent comment envisager cette nouvelle donne. Mais combien de directeurs et de propriétaires prennent le soin de goûter douze ou soixante bouteilles prêtes à être servies dans les manifestations internationales qu’ils organisent ? Très peu ! Dans l’ensemble, ils délèguent aux sommeliers locaux présents tandis qu’ils font leur travail de Relation Publique. Or, combien de sommeliers connaissent le goût de la bouteille originale ? Très peu. Bien souvent, c’est la première fois qu’ils goûtent le vin présenté.
La science en passe de lever le voile
Ces écarts d’une bouteille à l’autre sont maintenant scientifiquement prouvés. Les recherches, toujours en cours, sont nées de l’identification de substances aromatiques traduisant l’oxydation des vins blancs et des vins rouges. On sait maintenant que ces marqueurs peuvent se retrouver à des concentrations variant de un à cent d’une bouteille à l’autre d’un même vin. Autrement dit, le même vin évolue différemment, plus vite ou plus lentement dans les douze bouteilles composant une caisse. Quelles en seraient les causes ?
La première concerne la qualité du bouchon en liège, en particulier sa perméabilité, et la qualité mécanique de l’embouteillage. La recherche porte actuellement sur les microquantités d’oxygène passant à travers le bouchon selon la qualité du liège et celles du mécanisme de bouchage. Une perméabilité serait-elle nécessaire à l’évolution du vin ? Si oui quel serait le seuil idéal ? Certains vins pourraient être sensibles plus que d’autres à la pérméabilité du bouchon. Un bouchon très qualitatif se définit comme étant peu perméable. Or, cette perméabilité d’un bouchon de liège à l’autre est toujours hétérogène.
La seconde raison entrainant des variations scientifiquement mesurables d’une bouteille à l’autre serait liée à l’absence de stabilité biologique d’un vin lors de sa mise en bouteille. Les vins non filtrés, non collés, mis récemment à la mode au nom de l’intérêt des consommateurs par certains critiques, contiennent une grande quantité de micro-organismes actifs. Avec le temps, avec la température, se développe une microbiologie particulière à chaque contenant. Les vins issus de vendanges très mûres avec des pH élevés de 3,9 à 4 sont particulièrement concernés. Et ce d’autant plus qu’ils se mettent à la mode du sans soufre.
En conclusion, ces recherches pourraient remettre en cause l’utilisation du bouchon de liège. Par quoi serait-il remplacé ? Pour les vins blancs, la capsule à vis convient bien. Son herméticité actuelle (ça pourrait changer) induit des odeurs de réduction appartenant à l’environnement aromatique du vin blanc. Pour la même raison, cette capsule ne convient pas aux vins rouges qui en l’absence d’air (réduction) développent des odeurs très lourdes. Pour l’instant, la recherche porte sur le comportement et l’influence de ces obturateurs nouveaux. Ces expérimentations dureront encore une dizaine d’années avant d’éventuels changements.
Pour l’instant, je ne conçois pas de perdre en moyenne deux à trois bouteilles sur douze pour des raisons liées au bouchon. Tout comme les propriétés savent éliminer les mauvais tonneliers, parce qu’elles goûtent fréquemment leur vin en cours d’élevage, elles peuvent le faire avec les fournisseurs de bouchons défaillants. Pour cela, il faut que les responsables se mettent au travail, en quête de l’information, en goûtant inlassablement avec discipline, dans toutes les circonstances, et surtout hors de leur propriété et hors de Bordeaux.
Aux consommateurs, je conseille de comparer le goût de chaque bouteille, avant de les servir, dès lors qu’ils en ouvrent plusieurs du même vin pour un dîner. Ceci évitera qu’au bout de la table, des convives s’émerveillent sur la qualité alors qu’à vos côtés certains n’osent pas dire qu’ils trouvent votre vin médiocre et votre passion sans fondement.
Jean-Marc Quarin
Critique oenologique pour le Rendez Vous du Mathurin
Quarin Guide to Bordeaux Wines: The cork, that last dimension of the wine
We are familiar with the importance of the terroir, climate, grape variety, human labour, management or selection to the taste of the wine. We have been too unaware of the role of this piece of cork that packages the taste of a bottle and its future. It sometimes cruelly reminds us of how much the piece of cork is the last link between the producer and consumer. For this reason, it should receive the most attentive care.
I am not talking here about the taste of the cork, which is confirmed more in the mouth than the nose. Rather, I am talking about what I have noticed for ten years now: in a case of wine, there are taste differences from one bottle to another.
This fact has become obvious at numerous tastings I do with groups. As soon there are more than 15 participants, a second bottle must be opened. I always systematically taste all the wines of an evening before serving and commenting on them. That way, I make sure that everyone receives the same wine. By comparing all these open bottles together, I perceive subtle differences, and in a case of a dozen, on average two bottles prove not to conform to the model. These unrepresentative bottles are always characterised by a dry finish and aggressive development of their excitement.
It is likely that variations from one bottle to another have always existed. We used to scoff at the taster, accused him of being chagrined. Some even said that he was tired, that the dish did not go well with the wine, etc. Through respect, tradition, ignorance, idiocy, misunderstanding and snobbishness, tasting has long been focused on the subjectivity of the drinker, overlooking the variable behaviour of the same wine from one bottle to the next. Proprietors, professionals and merchants imposed their vision on enthusiasts. That is over! Today, they can do nothing more or less than share it on equal standing, by respecting the buyer. And it is so much better that the person who opens the bottle at the end of the line is the one who brings this small world to life.
The gene that causes these variations from one bottle to the next is actually connected to the high cost. Dissatisfaction is forgiven at 15 euros, but no longer tolerated at 35 or 500 euros. A rendezvous with a great wine becomes a rare and expensive luxury. It must be perfect. Are proprietors really aware of this? Regarding this thorny subject, many do not know how to envisage this new gift. But how many directors and proprietors take the time to taste twelve or sixty bottles ready to be served at the international events they organise? Very few! Overall, they delegate to the local sommeliers present while they carry out their public relations work. Yet, how many sommeliers are familiar with the taste of the original bottle? Very few. Quite often, it is the first time they have ever tasted the wine presented.
Science is on the way to lifting the veil
These differences from bottle to bottle are now scientifically proven. On-going research arose from the identification of aromatic substances translating into the oxidation of white and red wines. We now know that these markers can be found at concentrations varying from one to one hundred from bottle to bottle of the same wine. In other words, the same wine evolves differently, faster or slower in the 12 bottles in a single case.
What would cause this?
This first concerns the quality of the piece of cork, in particular its permeability, and the mechanical quality of the bottling. Research currently involves the micro quantities of oxygen passing through the cork according to the quality of cork and that of the corking mechanism. Would permeability be necessary to the development of the wine? If so, what would be the ideal threshold? Some wines could be more sensitive than others to the permeability of the cork. A very high quality cork is defined as having low permeability. And yet, this permeability from one piece of cork to another is still mixed.
The second reason leading to variations that can be measured scientifically from one bottle to another is linked to the lack of organic stability of a wine during its bottling. Unfiltered, unfined wines, which have recently been made fashionable in the name of consumer interest by some critics, contain a large quantity of active microorganisms. With time and temperature, a microbiology specific to each container develops. Wines from very ripe harvest grapes with a high pH of 3.9 to 4 are concerned in particular – and all the more if they are in the sulphur-free style.
In conclusion, this research could call into question the use of cork. What would replace it? For white wines, the screw cap works well. Its current airtightness (that could change) induces reduction smells specific to the aromatic environment of the white wine. For the same reason, this cap is not suitable for red wines, which in the absence of air (reduction) develop very heavy smells. At this time, research concerns the behaviour and influence of these new seals. These experiments will continue for a dozen years before any changes.
For the moment, I cannot imagine losing two to three bottles out of a dozen for reasons related to the cork. Just as estates know to eliminate the bad coopers because they frequently taste their wine during the élevage, they can do the same with vendors of defective corks. For this, those in charge must get to work, in search of information, by endlessly tasting with discipline, in all circumstances and especially outside their property and outside Bordeaux.
I advise consumers to compare the taste of each bottle before serving them, as soon they open several bottles of the same wine for a dinner. This will avoid guests at the end of the table marvelling over the quality while some beside you dare not say that they find your wine mediocre and your passion unfounded.
Jean-Marc Quarin
Wine critic for Rendez Vous du Mathurin
Didier MOINEL DELALANDE