Slawomir Mrozek est l’un des plus célèbres dramaturges polonais né en 1930 et décédé en 2013. Cette courte anecdote est tirée de son recueil de nouvelles, le Mrozek de poche édité aux Editions Noir sur Blanc en 2009. Nous la reproduisons avec l’aimable accord de la maison d’édition.
Une nuit à l’hôtel
J’étais sur le point de m’endormir lorsque j’entendis, venant de l’autre côté du mur, un bruit sourd et fort.
“Bon, ça y est, ça va commencer maintenant, me dis-je. Ce sera exactement comment dans l’anecdote connue : le voisin enlève une chaussure et la laisse tomber sur le plancher. Maintenant je ne m’endormirai pas tant qu’il n’aura pas enlevé la seconde, et je peux attendre comme cela pendant longtemps.“
Quel ne fut pas donc mon soulagement quand, peu de temps après, j’entendis le second bruit sourd.
Je m’endormis, lorsque retentit une troisième fois derrière le mur le bruit de chute, qui me coupa l’envie de dormir.
Je ne m’attendais pas à cela. Mon voisin avait-il donc trois pieds ? Impossible. Avait-il remis une chaussure qu’il aurait ensuite enlevée de nouveau ? C’était peu probable. Alors, de toute évidence, j’avais deux voisins.
Ma torture ne fit que commencer, exactement comme je l’avais prévu. La seule chose qui me permit detenir, c’était l’espoir qu’il allait devoir quand même enlever sa chaussure à un moment ou à un autre. Or, la nuit avançait, et le deuxième, c’est à dire le quatrième bruit se faisait attendre et attendre.
Je ne fermai pas l’œil de la nuit et au matin je descendis prendre mon petit déjeuner, complètement exténué. Je rencontrai mon voisin. Je cherchai le second de tous les côtés, mais il n’était pas là, il n’y avait que celui-ci. Le second avait du se coucher en état d’ivresse, et à l’heure qu’il était, il dormait avec une chaussure au pied.
“Il y a des souris chez vous ? M’interpella mon voisin. Parce que chez moi il y en a. Elles faisaient un tel vacarme que j’ai dû les faire taire à coups de chaussure“.
A partir de ce jour-là, je cessai de penser logiquement. Une seule stupide souris est plus forte que toute la logique, et la logique, elle ne provoque que des nuits blanches.
Slawomir Mrozek,
Le Mrozek de poche
© 2009, les Editions Noir sur Blanc, CH 1003 Lausanne
Slawomir Mrozek: A night at the hotel…Hotel anecdote No. 10
A night at the hotel
I was just falling asleep when, from the other side of the wall, I heard a loud thud.
“That’s it, here we go,” I said to myself. “It’s going to be just like the well-known story: the man in the room next door takes off his shoe and drops it on the floor. I won’t be able to get to sleep now until he takes the other one off, and I could be waiting for ages.”
So I was mightily relieved when, shortly after, I heard the second thud.
I had fallen asleep, when suddenly a third sound of something falling resounded from behind the wall, dispelling any further possibility of sleep.
I wasn’t expecting that. Did the man in the room next door have three feet? Impossible. Had he put a shoe back on and then taken it off again? Unlikely. So, evidently there were two people in the room next door to me.
The torture had only just begun, exactly as I had predicted. The only thing that kept me going was the hope that, sooner or later, he was going to have to take off his shoe. The night progressed, and the second, or rather the fourth, noise kept me waiting, and waiting.
I didn’t get a wink of sleep all night and in the morning I went down for breakfast, completely exhausted. I met the man in the room next door. I looked everywhere for the second person but he was nowhere to be seen; just the one man. The second person must have gone to bed in a state of drunkenness and, given the lateness of the hour, had slept with one shoe still on.
“Have you got mice in your room?” enquired the man in the room next door. “Because I have. They were making such a racket that I had to shut them up by hitting them with my shoe.”
From that day on, I stopped thinking logically. One single stupid mouse is stronger than all logic, and logic only leads to sleepless nights.